L’anthropologie est par essence comparative, la musique l’est aussi, tant elle est faite d’emprunts, de contacts entre les sociétés, les divers groupes. Cette approche mettra bien sûr en évidence les divergences mais s’efforcera tout particulièrement de les transcender afin de faire ressortir des spécificités communes voire une structure. Il est bon de garder à l’esprit que la musique renvoie aussi à la conception sociale d’un groupe, à sa structure. La musique est structurante. Elle est une des clefs pour connaître ou apprendre à connaître une société.

Les représentations concernant les Gitans, ou les Tsiganes pour employer un exonyme, sont nombreuses. Les plus positives font référence au voyage, à la liberté et au don véritable pour la musique. De nombreuses études, dont certaines sont passionnantes, sur les Tsiganes ont pour thème la musique. Parler de musique au singulier n’est pourtant pas pertinent chez les Tsiganes. En effet cette pratique varie parfois considérablement d’un groupe à un autre, d’un  » territoire  » à un autre, parfois même d’une famille à une autre. C’est pourquoi nous parlerons des musiques, de ce que nous nommerons pratiques musicales (écoute, production, diffusion, circulation…) chez les Gitans du sud de la France. La question qui se pose alors est pourquoi s’intéresser aux pratiques musicales chez les Gitans ? Nous répondrons très simplement à cette interrogation en disant que la musique doit être largement pensée comme un fait social puisque comme le souligne Bernard Lortat-Jacob « Chaque exécution rend pleinement signifiants les rapports de ceux qui s’y consacrent : goût pour la domination (lorsq’un chanteur chante trop fort ou qu’il s’accorde une liberté exagérée), affirmation de son appartenance familiale (par le recours à un tour musical dont un oncle lointain avait fait sa spécialité) ; recherche d’harmonie ou de dissonance à la fois sociale et musicale, etc. Pour qui sait l’entendre, chaque chant a donc un sens, pleinement dépendant d’un contexte d’exécution donné, où chaque chanteur rend publique une image acoustique de sa personnalité, de son rôle et de ses affinités personnelles avec ses compagnons »2.

Or les Tsiganes, les Gitans, les Roms, le Sintis, ne constituent pas un et des groupes homogènes, quand bien même ils partagent un mouvement identitaire caractéristique qui consiste à emprunter des façons de faire, d’être et de dire à l’extérieur, pour en faire, par un processus de transformation, des spécificités de l’intérieur. C’est bien ce que dit Marc Bordogoni quand il écrit « [en] S’appropriant ce que d’autres autour d’eux délaissent, ils se font les conservateurs d’une partie de la culture de l’Autre, la nôtre, et comme cela se perpétuent eux-mêmes »3 (2007:106). Se pencher sur les pratiques musicales des Gitans, sur la place, le rôle et le sens qu’ont ces pratiques, se demander à quoi servent-elles, qui les fait, quand, où, comment, avec qui et pourquoi, constitue selon nous et en référence à ce que nous avons énoncé, un bon moyen pour réfléchir sur les identités sexuées, sur les identités générationnelles, sur les identités gitanes, sur les représentations, en un mot sur l’être et ou le faire gitan.

Nous pourrions résumer ceci en posant la question suivante : que nous révèlent les pratiques musicales sur les gitanités, sur la gitanité en général ? Qu’est ce que « musiquer »4 pour les Gitans, que nous apprend cette pratique ? Une ébauche de réponse nous est apparue lors de nos précédents travaux sur la constitution des identités de femmes gitanes catalanes à Berriac5. Certaines femmes gitanes tiennent des blogs qui sont de véritables bibliothèques musicales. Les différents genres de musique présents, les destinataires, la présentation de soi et des Autres, ouvrent déjà des pistes de réflexions plus qu’intéressantes. Notre questionnement de départ porterait alors sur la conception, sur l’utilisation de l’outil ‘musique’ par les femmes gitanes. Mais aussi sur son fonctionnement et sur le sens à donner à ces pratiques tant sur la plan identitaire que sur celui des représentations. L’un des objectifs étant aussi de montrer ce que nous apprennent les femmes sur l’être et le faire gitan, sur la gitanité, en un mot de monter en généralité. Pour ce faire, il serait plus que judicieux, de comparer ce qui se fait à Berriac, avec ce qui se fait ailleurs dans le sud de la France. L’anthropologie est par essence comparative, la musique l’est aussi, tant elle est faite d’emprunts, de contacts entre les sociétés, les divers groupes6. Cette approche mettra bien sûr en évidence les divergences mais s’efforcera tout particulièrement de les transcender afin de faire ressortir des spécificités communes voire une structure. Il est bon de garder à l’esprit que la musique renvoie aussi à la conception sociale d’un groupe, à sa structure. La musique est structurante. Elle est une des clefs pour connaître ou apprendre à connaître une société. C’est ce que nous allons nous attacher à montrer.

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